Bibliothèque de droit privé - Tome 655 - La garantie conventionnelle dans les cessions de droits sociaux - 397

LES CONSÉQUENCES DE LA NATURE UNITAIRE DE LA GARANTIE DE PASSIF
B. LA GESTION CONTRACTUELLE
DE LA CONNAISSANCE DE L'ACQUÉREUR
667. Les développements qui précèdent ont démontré que la jurisprudence
juge de manière constante que la connaissance par l'acquéreur d'informations
contradictoires avec la garantie qui lui est consentie ne le prive pas de la possibilité
d'invoquer la garantie.
668. Il va sans dire que, pour justifiée qu'elle soit au plan juridique, la solution
retenue favorise clairement l'acquéreur au détriment du vendeur. On
comprend dès lors que ce dernier craint que l'acquéreur, bien qu'informé de
l'inexactitude d'une déclaration dès la signature du contrat de cession, voit dans
cette jurisprudence une incitation à garder le silence lors de la conclusion du
contrat pour former ensuite une réclamation à l'encontre du vendeur peu après la
date de réalisation. Cette stratégie, que la pratique nord-américaine désigne sous
le terme « Sandbagging »281
, permet en effet à l'acquéreur d'utiliser la garantie
pour obtenir une baisse de prix ou une indemnisation spécifique qu'il n'aurait
peut-être pas été en mesure de négocier lors de la signature du contrat de
cession.
669. Comme pour tempérer la rigueur de sa solution, la Cour de cassation a
toutefois rappelé à plusieurs reprises aux parties qu'il leur est loisible de déroger
au principe en excluant les informations connues de l'acquéreur du champ de la
garantie.
Par un arrêt du 14 décembre 2010, la Chambre commerciale a par exemple
retenu que :
« les cédants s'étaient engagés à garantir le cessionnaire de tout préjudice
que la société viendrait à supporter par l'effet de la diminution d'un poste d'actif
ou de l'augmentation d'un poste de passif dans les comptes au 30 avril 2004,
dès lors que la cause ou l'origine de cette diminution d'actif ou de cette augmentation
de passif serait antérieure à cette date, sans distinguer selon que le cessionnaire
avait ou non connaissance de cette cause ou origine »282
.
La formulation de l'attendu laisse entendre que la solution aurait été différente
si la garantie avait distingué selon que le cessionnaire connaissait ou non la
cause ou l'origine du fait générateur. Cette incitation à gérer contractuellement la
connaissance de l'acquéreur se retrouve, de manière plus explicite, dans un arrêt
du 12 mai 2015 :
« attendu qu'en statuant ainsi, alors que par la convention du 26 juillet
2006, Mme X. avait garanti que toutes les informations qui y figuraient étaient
exactes, sans distinguer selon que le bénéficiaire de la garantie avait ou non
281. L'origine du terme « Sandbagging » est incertaine. Pour certains il serait issu de la pratique
du poker où il désigne une technique de bluff par laquelle un joueur avec une main forte fait mine de
détenir un jeu faible et dégaine son jeu une fois que les autres joueurs ont fait leur mise, pour d'autres
praticiens il puise son origine dans l'utilisation par les malfrats du 19ème
siècle de sacs de sable jetés sur
leurs ennemis ou les forces de l'ordre. D'apparence anodine, les sacs de sable causaient d'importants
dégâts chez l'adversaire.
282. Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-68.868, SAS Rfil c. Humbert : JCP E 2001, 1007 ; RTD
com. 2011, p. 359, obs. A. Constantin ; RTD com. 2011, p. 371, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ;
Dr. sociétés 2011, comm. 44, M.-L. Coquelet ; BJS 2011, p. 170, obs. E. Michel-Cordier.
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