Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 173 - Le principe de responsabilité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - 106

100 LE PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
112. En définitive, il est possible à l'instar de Ripert ou d'Eisenmann, de lire
dans l'article 1382 du Code civil l'expression d'un devoir moral302
dique303
ou métajuride
réparer ses fautes, mais uniquement dans une perspective contemplative.
Dans le sens que le professeur Chapus conférait au fondement, c'est-à-dire
un élément de justification théorique dont la connaissance offre tout au plus
« une satisfaction qu'on pourrait dire d'ordre affectif »304
. Car sous la plume du
Conseil constitutionnel, l'injonction faite au législateur d'interdire la nuisance à
autrui ne saurait jouer un rôle déterminant, ni en tant que devoir en tant que tel
ni en tant que droit à la sanction de la faute. Par-delà les considérations théoriques,
en effet, la fonction indemnitaire et la fonction sanctionnatrice coexistent
irréductiblement, sans que l'une ne puisse l'emporter sur l'autre305
. Si d'un côté la
jurisprudence du Conseil semble accorder une place éminente au comportement
de l'auteur, il reste qu'à ce jour, les deux grandes décisions de censure fondées sur
le principe de responsabilité306
entretiennent un lien particulièrement resserré avec
les droits des victimes.
113. Une dernière porte reste donc à ouvrir. Celle qui conduirait à considérer
que le principe de responsabilité pourrait être regardé comme un droit au caractère
personnel de la responsabilité. Hypothèse que semble suggérer une série de
décisions relativement récentes favorables aux droits de l'auteur du dommage.
Cette dernière hypothèse s'avérera toutefois aussi relative que les précédentes.
§2. La RELATIVITÉ DE LA PRÉPONDÉRANCE DE LA PROTECTION DU DROIT
À LA RESPONSABILITÉ PERSONNELLE
114. La thèse de la prépondérance du caractère personnel de la responsabilité
s'autorise, elle aussi, de nombreux arguments doctrinaux et jurisprudentiels. Il est
en effet possible de considérer que si le principe de responsabilité n'a pas produit
d'effets contentieux notables depuis la décision du 22 octobre 1982, c'est que les
fonctions qui lui ont été classiquement assignées sont en réalité mieux assurées
par d'autres principes. C'est dans ce contexte que la formulation d'une réserve
d'interprétation favorable au droit de l'auteur à une responsabilité personnelle
dans les décisions Société Gecop307
du 31 juillet 2015 et Fédération des promoteurs
immobiliers308
du 22 janvier 2016 pourrait revitaliser l'idée selon laquelle le Conseil
constitutionnel pourrait finalement, par le biais du principe de responsabilité, se
faire le gardien des droits de l'auteur. La thèse est attractive dans la mesure où elle
repose principalement sur des décisions récentes du Conseil constitutionnel (I).
Une lecture approfondie des décisions en question conduit toutefois à en admettre
les limites (II).
302. G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, préc., p. 224 et s
303. Ch. EISENMANN, « Sur le degré d'originalité du régime de la responsabilité extracontractuelle
des personnes (collectivités) publiques », préc., p. 751.
304. R. CHAPUS, Responsabilité publique et responsabilité privée. Les influences réciproques des
jurisprudences administrative et judiciaire, LGDJ, Tome 8, 1957, p. 343.
305. Pour une analyse récente en ce sens, voir par ex : D. BAUGARD, « La constitutionnalité du
barème impératif des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse », préc., p. 718 et s.
306. Cons. const., décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, préc. ; Cons. const., décision
n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, préc.
307. Cons. const., décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, préc., considérant 14.
308. Cons. const., décision n° 2015-517 QPC du 22 janvier 2016, préc., considérants 11 et 14.

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