Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 173 - Le principe de responsabilité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - 141

LA FONCTION DOMINANTE
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ainsi préservée entre employeurs et salariés, par le biais du recours implicite à la
notion de bonne foi dans l'exercice du droit de grève ; entre le riverain et l'exploitant
industriel ou agricole moyennant une combinaison entre le privilège d'antériorité et
le principe de responsabilité pour faute ; entre les personnes unies par un pacte civil
de solidarité par la prohibition des abus de droit de rompre le contrat qui les lie ;
entre le donneur d'ordre et son cocontractant par l'examen des obligations respectives
des acteurs et de la configuration générale du dispositif de responsabilité
solidaire instauré par le législateur. Les exemples peuvent être multipliés.
173. La mise en œuvre de ce mode de raisonnement procède, semble-t-il, d'une
véritable volonté du juge constitutionnel. À l'occasion de la décision du 31 juillet
2015, le Conseil avait par exemple à traiter de la question relative à la solidarité
financière du donneur d'ordre sous l'angle de la sanction infligée par la société à
un individu au nom de la lutte contre le travail dissimulé. Ce fut le point de vue
adopté par le requérant, suivi sur ce point par le Conseil d'État. Mais plutôt que
d'analyser le dispositif comme une sanction ayant le caractère d'une punition, susceptible
de porter atteinte à l'article 8 de la Déclaration de 1789, le Conseil avait
envisagé la responsabilité solidaire comme « une garantie pour le recouvrement de
la créance du Trésor public et de celle des organismes de protection sociale ». Si
cette garantie pèse sur les épaules du donneur d'ordre qui aura manqué à son
obligation de vérification, elle demeure acceptable, eu égard aux outils offerts par
le droit commun de la responsabilité civile. Le Conseil rappelle en effet, entre
autres considérations, que le donneur d'ordre s'étant acquitté du paiement exigible
en application de la disposition discutée « dispose d'une action récursoire contre le
débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires »89
. La doctrine
soulignait à cet égard que le dispositif permettait aux salariés et aux organismes
de protection sociale de « pallier les inconvénients résultant de la disparition
ou de l'insolvabilité de l'entreprise exerçant l'activité dissimulée, en s'adressant
directement au client ou au bénéficiaire de la prestation accomplie dans des conditions
illicites »90
. En optant pour le prisme du principe de responsabilité, le juge
constitutionnel fit donc le choix délibéré de traiter la question qui lui était soumise
sous l'angle des rapports entre les différents acteurs du mécanisme instauré. Il
relève en effet d'office le grief tiré d'une éventuelle atteinte à l'article 4 de la Déclaration,
le requérant ayant exclusivement axé son argumentaire sur les articles 8 et 9
de la Déclaration ainsi que sur le droit de propriété inscrit à l'article 2. La cohésion
protégée tient donc en premier lieu dans la juste répartition des charges sociales
entre les différents acteurs en relation, et non sur la protection d'une valeur commune
dont la sanction doit être passée au crible des articles 8 et 9 de la Déclaration
de 1789, dans une perspective plus défensive des droits libertés.
174. Ce phénomène d'horizontalisation de son raisonnement correspond
donc à une tendance du Conseil, perceptible dès 1982, à appréhender la protection
89. Cons. const., décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, préc., considérant 8. Le commentaire
indexé à la décision rappelle la fonction du mécanisme de solidarité en droit civil : « la solidarité
est une garantie, définie par les articles 1200 et suivants du Code civil, qui donne le droit au créancier
de réclamer à n'importe lequel de ses débiteurs le paiement de la totalité de la dette. Le débiteur solidaire
ne peut opposer ni le bénéfice de la division ni le bénéfice de la discussion. S'il a payé le tout, le
débiteur solidaire peut alors se retourner, par voie d'action récursoire, contre le débiteur principal,
pour lui réclamer le remboursement de la totalité de la dette, ou contre ses codébiteurs solidaires, pour
leur réclamer leur quote-part de la dette ».
90. R. SALOMON, « Chronique de droit pénal social », Droit social, 2013, p. 626.

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