Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 173 - Le principe de responsabilité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - 185

LES LIMITES DES FONDEMENTS EXCLUS PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL
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responsabilité. Du point de vue de l'égalité, en effet, le juge considère que la différence
de traitement « ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi », dès lors
qu'elle est en adéquation avec l'objet - sans doute devrait-on plutôt parler d'objectif86
-
de la loi qui l'instaure. La loi avait pour objet d'éviter les licenciements sans
cause et réelle et sérieuse, en instaurant un dispositif dissuasif. Pour ce faire, le législateur
a jugé que le droit commun était en l'état de nature à dissuader les entreprises
les plus fragiles, comportant au moins onze salariés. Pour les entreprises de plus de
dix salariés en revanche, un minimum était jugé nécessaire. En somme, la cohérence,
au moins formelle, de la loi, suffisait au juge pour justifier la différence de traitement.
Autrement dit, dans la droite ligne de sa jurisprudence, l'idéal demeure l'égalité
de traitement, mais une différence de traitement justifiée selon les critères établis,
permet de considérer que le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité. Du
côté du principe de responsabilité en revanche, le Conseil considère « qu'en permettant
au juge d'accorder une indemnité d'un montant supérieur aux salaires des six
derniers mois en fonction du préjudice subi, le législateur a mis en œuvre le principe
de responsabilité, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 »87
. Pour le
dire autrement, lorsqu'une inflexion du principe d'égalité est tolérée au nom de la
liberté reconnue au législateur d'y déroger selon des critères établis, le principe de
responsabilité, lui, se trouve mis en œuvre par une telle disposition.
245. L'on perçoit bien l'écart entre les deux logiques à l'œuvre. Il est d'ailleurs
marquant que les trois types de raisonnement cohabitent au sein de la décision :
le principe d'égalité tolère la disposition en cause, le principe de responsabilité est
mis en œuvre par elle, et la liberté d'entreprendre subie une atteinte, mais de
manière non disproportionnée. Le premier répond donc à une exigence de neutralité,
le deuxième à une logique plus sociale, et la dernière à une logique éminemment
libérale. Le tri est d'ailleurs clairement opéré par le Conseil : « le législateur
a opéré entre, d'une part, le droit de chacun d'obtenir un emploi et le principe de
responsabilité et, d'autre part, la liberté d'entreprendre une conciliation qui n'est
pas manifestement déséquilibrée »88
. Mobilisé d'office par le juge Conseil, le principe
de responsabilité avait donc joué en l'espèce toute sa vocation sociale, en se
muant pour l'occasion en garant du droit de chacun d'obtenir un emploi inscrit
au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
246. Il ressort de ces éléments que le principe de responsabilité répond à une
logique sensiblement différente de celle communément déployée au nom du principe
d'égalité. Le lien entre le fondement et la politique jurisprudentielle qu'elle
justifie s'en trouve fragilisé. En outre, le choix d'arracher le principe de responsabilité
au principe d'égalité permet de libérer ce dernier de sa fonction de suppléance89
.
En effet, comme l'écrit le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien,
celle-ci « ne fait qu'augmenter la confusion qui règne d'ordinaire autour de ce
86. O. JOUANJAN, « Logique de l'égalité », préc. : « en effet, l'objet d'une loi établissant une
différence de traitement n'est-il pas précisément cette même différence de traitement ? ».
87. Cons. const., décision n° 2016-582 QPC 13 octobre 2016, préc., §12.
88. Ibid.§13.
89. F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, préc., p. 306 : « encore davantage que pour la fonction de renforcement, la fonction
suppléance, ou de substitution, révèle le ''pouvoir absorbant'' du principe d'égalité qui, s'il est appliqué
ans discernement, peut supplanter pratiquement tous les autres droits fondamentaux. En effet, ce qui
est ici qualifié de fonction de suppléance recouvre toutes ces hypothèses où le principe d'égalité, en
raison de la généralité de sa formulation, est utilisé par le juge constitutionnel, non pas en renfort d'une

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