Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 173 - Le principe de responsabilité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - 312

306 LE PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
point que si la faute caractérisée était assimilable à la faute lourde, « se serait
posée la question de l'éventuelle appréciation de l'atteinte portée au droit à réparation
au regard de l'intérêt poursuivi »282
. Toute la force contraignante du principe
de responsabilité tient donc dans ce contrôle du lien opéré entre intensité de
la faute et niveau de l'indemnisation.
457. Dans la décision du 21 mars 2018, ce contrôle semble pourtant avoir
été vidé de son contenu. En effet, si dans la loi d'habilitation contrôlée quelques
mois plus tôt le législateur avait prévu un retour au droit commun - et donc au
principe de réparation intégrale - en cas de « faute d'une exceptionnelle gravité
», la loi de ratification avait réservé l'exclusion du barème à des cas limitativement
énumérés. Les plafonds étaient inapplicables dans des hypothèses
limitativement énumérées par la loi. Il s'agissait par exemple des licenciements
entachés d'une nullité résultant de la violation d'une liberté fondamentale, de
faits de harcèlement moral ou sexuel, ou encore d'une atteinte à l'égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes. C'est à cet égard que le Conseil aurait
pu formuler une réserve d'interprétation, à la suite d'un contrôle du rapport
entre la gravité de la faute et la qualité de la réparation. Conformément à la
jurisprudence qui semblait jusque-là acquise, le salarié devait être en mesure
d'obtenir la réparation intégrale du préjudice en cas de faute intentionnelle et la
réparation de l'intégralité des préjudices en cas de faute qualifiée. En l'espèce, le
Conseil pouvait donc condamner le fait que des préjudices causés par des fautes
particulièrement graves soient susceptibles d'échapper aux catégories permettant
le retour au droit commun. Il aurait pu, à cet égard, à défaut de censurer la loi,
formuler une réserve d'interprétation visant à soustraire l'ensemble des préjudices
causés par des fautes d'une particulière gravité283
. En l'absence d'une telle
réserve, certains préjudices causés par une faute dolosive seraient susceptibles
de perdre le bénéfice de la réparation intégrale, tandis que ceux causés par une
faute qualifiée risqueraient de rester sans indemnisation. Or le Conseil conclut
sa démonstration en estimant que la dérogation au droit commun « n'institue
pas des restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général
poursuivi »284
.
458. Il ressort de cette dernière décision que les exigences que l'on pouvait
. En restreignant les cas d'exclusion du
282. Commentaire annexé à la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, préc., p. 10-12.
283. D. BAUGARD, « La constitutionnalité du barème impératif des indemnités de licenciement
sans cause réelle et sérieuse », préc., p. 718 et s. : « on pense avant tout aux licenciements reposant sur
un motif dont la cause originelle provient d'une faute de l'employeur : inaptitude physique résultant
d'un manquement à l'obligation de sécurité, situation économique découlant de sa faute ou d'une
légèreté blâmable ».
284. Cons. const., décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, préc., considérant 88.
285. Alors que dans les deux décisions Époux L. et Consorts C., à l'origine de la ligne
jurisprudentielle évoquée, l'intérêt général se trouvait conforté, en arrière-plan, par le droit à la
protection sociale tiré du onzième alinéa du Préambule de 1946. Dans le même ordre d'idées, lorsque
le Conseil avait considéré que l'instauration d'un plancher opposable aux entreprises ayant plus de
onze salariés relevait de la mise en œuvre du principe de responsabilité - un tel plancher étant jugé
nécessaire au caractère dissuasif du dispositif -, la restriction dont pouvaient se prévaloir ces
entreprises avait été critiquée sur le fondement de la liberté d'entreprise.
tirer d'une lecture globale de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont été
évincées par la force de l'intérêt général285
barème, le législateur entendait en réalité échapper à l'aléa de la qualification de
la faute, au détriment de la réparation de certains préjudices. Si la doctrine a

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