Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 173 - Le principe de responsabilité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - 408

402 LE PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
responsabilité civile applicable à une hypothèse particulière, dans l'objectif d'empêcher
la commission d'un certain nombre d'actes jugés répréhensibles. Dès lors,
le mécanisme de responsabilité n'implique plus que l'auteur et la victime, mais
s'inscrit sur un horizon social plus large. Du point de vue du Conseil constitutionnel,
le contrôle de ces dispositifs implique un travail de qualification plus ou
moins complexe. Il s'agit de savoir jusqu'à quel point un mécanisme impliquant
une dimension punitive importante peut être regardé comme un mécanisme relevant
simplement du droit civil, et se voir appliquer les principes applicables à la
matière. L'exercice n'est pas aisé. Comme l'a constaté la doctrine, « il est manifeste
que la séparation établie artificiellement entre un droit pénal répressif et un
droit civil restitutif, ne correspond pas à la réalité juridique de notre temps »73
. En
effet, la distinction étanche entre un droit pénal purement répressif et un droit
civil purement restitutif, telle que décrite par Jérémy Bentham ne saurait résister
à l'analyse du droit positif actuel74
temps, « le droit privé tout entier baigne dans cette atmosphère pénale »75
, a pris acte de la porosité des frontières entre ces deux grandes formes
de responsabilité77
nome : la matière répressive78
. Comme l'écrivait déjà Boris Starck en son
. Si bien
que le Conseil constitutionnel, à l'image de la Cour européenne des droits de
l'homme76
pour dégager des principes applicables à une matière auto.
619.
Désormais, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, la mobilisation
des garanties fondamentales originellement spécifiques à la matière pénale,
au détriment du principe de responsabilité, procède d'une appréciation substantielle
de la disposition mise en cause. Des dispositifs a priori de nature civiliste
73. M. CRÉMIEUX, « Réflexions sur la peine privée moderne », in Mélanges Pierre Kayser,
tome I, PUAM, 1979, p. 261.
74. J. BENTHAM, Traités de législation civile et pénale, Dalloz, 2010 [Réimpr., éd. 1802], préf.,
Malik Bozzo-Rey, Anne Brunon-Ernst et Emmanuelle de Champs, Dalloz, 2010, p. 71 : « une loi civile
est celle qui établit un droit. Une loi pénale est celle qui, en conséquence du droit établi par la loi civile,
ordonne de punir de telle ou telle manière celui qui l'aurait violé. Ainsi, la loi qui se bornerait à
interdire le meurtre ne serait qu'une loi civile : la loi qui ordonne la peine de mort contre le meurtrier
est la loi pénale ».
75. B. STARCK, Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double
fonction de garantie et de peine privée, préc., p. 369.
76. CEDH, 9 février 1995, n° 17440/90, Welch c/ Royaume-Uni, §27 : « pour rendre efficace la
protection offerte par l'article 7, la Cour doit demeurer libre d'aller au-delà des apparences et
d'apprécier elle-même si une mesure particulière s'analyse au fond en une ''peine'' au sens de cette
clause ». La Cour dégage en effet la notion autonome de ''matière pénale'' lui permettant de dépasser
la qualification formelle retenue par le législateur. Voir : CEDH, 8 juin 1976, Engel et a. c/ Pays-Bas,
n° 5100/71, §82-83. Plusieurs critères sont alors retenus pour caractériser la disposition : la qualification
de l'infraction en droit interne, la nature de l'infraction et la nature et le degré de sévérité de la sanction.
Sur la notion, voir : F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l'homme, PUF, 2012,
p. 253 et s. Sur le lien entre la jurisprudence constitutionnelle et celle de la Cour EDH, voir par ex :
H. SURREL, « Conseil constitutionnel et jurisprudence de la CEDH », N3C, n° 46, janvier 2015,
p. 195 et s.
77. Y. MAYAUD, « Le droit pénal dans ses rapports avec les autres branches du droit », in J.-Ch.
SAINT-PAU (dir.), Droit pénal et autres branches du droit, regards croisés, éd. Cujas, 2012, p. 482.
L'auteur estime que la référence par la Cour EDH à la notion de matière pénale « n'est pas neutre, qui
renvoie à tout un montage, à une construction minutieuse, destinée à ne pas laisser le droit pénal
s'infiltrer sournoisement dans les autres branches du droit, et à éviter que, par cet artifice, il se délivre
des principes qui en guident l'articulation et l'application. La Cour européenne des droits de l'homme
veille à ce que ces mouvements soient bien mesurés ».
78. Ch. DUBOIS, Responsabilité civile et responsabilité pénale. À la recherche d'une cohérence
perdue, LGDJ-Lextenso, 2016, spéc., p. 225 et s.
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