Bibliothèque de droit public - Tome 343 - Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France - 37

Chapitre 1
UNE CONCEPTION ÉVOLUTIVE DE LA LUTTE
CONTRE LA PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE
27. « Se nourrir semble aller de soi, répondre tout naturellement à une
attente, à une tension physiologique. Pourtant, cette question ne cesse de se
comple xifier dès que l'on s'en préoccupe d'un peu plus près, et il est difficile de
tenir cette complexité à la jonction de toutes les dimensions qu'elle convoque »1
.
L'étude de la définition du simple verbe « manger » en est une parfaite illustration.
En effet, d'après Le Petit Robert 2020, manger signifie « avaler pour se
nourrir (un aliment solide ou consistant) après avoir mâché ». C'est aussi « un
acte politique et sacré », selon le philosophe Michel Serres2
. Ou encore, « Manger,
c'est contester toute séparation entre les disciplines et se positionner dans
l'existence, être d'emblée dans l'éthique et le politique », pour la philosophe
Corine Pelluchon3
. Ces différentes définitions traduisent des approches complémentaires
et très différentes des enjeux qui entourent un acte dont le sens paraît
pourtant limpide et évident, à la première lecture. La première acception renvoie
à une description physiologique et assez mécanique de l'acte alimentaire : mâcher
et avaler. Les suivantes inscrivent cette définition dans une optique identitaire,
collective, spirituelle et culturelle. Les dimensions et les enjeux sous-entendus par
telle ou telle conception sont donc radicalement différents, et la portée de leur
analyse l'est également. En particulier, suivant le sens retenu sur l'acte de manger,
les disciplines convoquées pour l'étudier varient du tout au tout. Il en est ainsi
également pour la déclinaison de la recherche juridique sur ce sujet : le droit a
sans doute peu à dire et à apporter sur l'étude et la description technique de
l'alimentation ; il a en revanche toute sa place dans son appréhension en tant que
fait identitaire, social et politique.
28. En suivant J.-L. Bergel, « on peut [...] admettre [...] que le droit est une discipline
sociale constituée par l'ensemble des règles de conduite qui, dans une société
plus ou moins organisée, régissent les rapports sociaux et dont le respect est assuré,
au besoin, par la contrainte publique. Le droit en soi, est alors, probablement, à la
fois le produit des faits sociaux et de la volonté de l'Homme, un phénomène matériel
et un ensemble de valeurs morales et sociales, un idéal et une réalité, un phénomène
historique et un ordre normatif, un ensemble d'actes de volonté et d'actes d'autorité,
1. Christine Durif-Bruckert, « ''On devient ce que l'on mange'' : les enjeux identitaires de
l'incorporation », Revue française d'éthique appliquée, n° 4, 5 octobre 2017, pp. 25-36, p. 25.
2. « Michel Serres : manger est un acte sacré », https://alimentation-generale.fr/entretien/
michel-serres-manger-est-un-acte-politique-et-sacre/.
3. Corine Pelluchon, Les nourritures : philosophie du corps politique, Paris, France, Éditions du
Seuil, 2015, p. 24.

https://www.alimentation-generale.fr/entretien/

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