Bibliothèque de droit public - Tome 343 - Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France - 393

GASTRONOMIE DE LA FAIM OU PERTINENCE D'UNE APPROCHE FONDÉE SUR LES DROITS 393
cause l'intérêt de sa reconnaissance en tant que droit autonome pour garantir sa
concrétisation. Par exemple, dans un de ses rapports récents69
, le Groupe
d'experts de haut niveau rattaché au CSA affiche clairement, dans ses objectifs,
la recherche de la « réalisation effective du droit à l'alimentation adéquate ».
Mais la définition donnée de ce dernier est limitée à une approche liée à la santé
de l'individu : « chacun a droit à une alimentation adéquate qui, non seulement,
satisfasse ses besoins minimaux pour assurer sa survie, mais aussi, soit adaptée
sur le plan nutritionnel pour assurer santé et bien-être (UN General Assembly,
2012) »70
. Dans cette optique, la protection du droit à l'alimentation semble pouvoir
être entièrement assurée par la reconnaissance et la protection du droit à la
protection de santé. La nutrition apparaît évidemment comme une valeur fondamentale
dans l'alimentation et la santé. Toutefois, assimiler le contenu du droit à
l'alimentation à cette seule dimension vient réduire le sens du droit à l'alimentation
à sa seule composante de santé et nier l'étendue des autres dimensions qui
forment son contenu71
, étendue mise en évidence par l'approche gastronomique
de la précarité alimentaire.
674. Certains auteurs considèrent encore que seul le contenu du droit d'être
à l'abri de la faim pourrait être reconnu en tant que droit autonome. Deux raisons
principales semblent pouvoir expliquer ces considérations. D'une part, le contenu
du droit à l'alimentation est souvent assimilé à la satisfaction d'un besoin essentiel
et vital72
française et en droit comparé73
, c'est d'ailleurs l'angle principal que l'on retrouve dans la jurisprudence
. De fait, la protection du droit à l'alimentation est
primordiale pour assurer « la vie et même la survie de l'être humain »74
. Sous ce
sens, le champ protégé par le droit à l'alimentation pourrait alors être couvert par
la protection du droit à la vie (qui a d'ailleurs été interprété en ce sens par le
Comité des droits civils et politiques)75
ou, du moins, il est rendu synonyme au
sens du droit d'être à l'abri de la faim. Là encore, l'approche gastronomique
contribue à démontrer la spécificité et l'autonomie de la définition du droit à
l'alimentation par rapport au contenu de ces deux droits s'inscrivant dans le
contexte de l'urgence alimentaire : le contenu du droit d'être à l'abri de la faim est
indispensable mais non suffisant pour couvrir le champ protégé par le droit à
69. HLPE, Nutrition et systèmes alimentaires, op. cit.
70. Ibid., p. 31. On retrouve ce point de vue dans de nombreux écrits dans lesquelles les dimensions
nutritionnelles et de santé peuvent être considérées comme synonymes de l'alimentation, sans
qu'aucune nuance ne soit apportée dans ce rapprochement. Par exemple la reconnaissance d'un droit
fondamental au bien-être nutritionnel est présenté par Ch. Golay comme étant une consécration du
droit à l'alimentation. Ou encore, comme mentionné précédemment, H. Elver défend « l'importance
d'une approche fondée sur le droit à une « alimentation adéquate », c'est-à-dire à des aliments nutritifs
pour tous ». Voir : Christophe Golay, Droit à l'alimentation et accès à la justice, op. cit., p. 159 ; Hilal
Elver, Rapport d'étape de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l'alimentation - Droit à l'alimentation
et nutrition, 3 août 2016, A/71/282, op. cit., résumé.
71. La critique d'une approche qui réduirait le sens du droit à l'alimentation à des enjeux nutritionnels
a été faite dès 1984 par Urban Jonsson : Urban Jonsson, « The socio-economic causes of
hunger », op. cit. Ces propos rejoignent ceux des sociologues de l'alimentation présentés dans le
Chapitre 1.
72. Patrice Meyer-Bisch, « Le droit de nourrir et de se nourrir - Dimensions économiques et
culturelle d'un droit humain », op. cit., note de bas de page n° 2, p. 8.
73. Voir supra, n° 364 et s. « Une assimilation au droit d'être à l'abri de la faim », et supra n° 403
et s. « Une protection jurisprudentielle émergente mais restrictive »,
74. Emmanuel Decaux cité in Marie Cuq, « L'alimentation en droit international », op. cit., p. 367.
75. Voir supra, n° 257 « Textes relatifs aux droits de l'Homme ».
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