Bibliothèque de droit public - Tome 343 - Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France - 43

UNE CONCEPTION ÉVOLUTIVE DE LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE
43
la plus petite portion de nourriture, et, en fait, il est de trop. Au grand banquet de
la nature, il n'y a pas de couvert vacant pour lui. Elle lui commande de s'en aller
[...]. Livrons donc cet Homme coupable à la peine prononcée par la nature [...] »37
.
Malthus s'inscrit dans la lignée de la pensée de J. Townsend qui érige la faim en
principe directeur d'administration des populations : la promotion de rapports
entre individus commandés par les lois du ventre, dans un état de nature légitime
et dynamique, plutôt qu'un système d'assistanat légal et artificiel, caractérisé par
des formes de secours dans l'organisation interne38
. Ces positions profondément
antihumanistes et allant à l'encontre de la reconnaissance de droits pour les plus
pauvres, reçoivent encore un écho contemporain, dans la radicalité de certaines
positions de néomalthusianistes39
elles ont également pu influencer les actions du Fonds monétaire international ou
de la Banque mondiale, à partir de la fin des années 197040
.
37. Enfin, les théories malthusiennes qui conduisent à une compréhension
des causes de la faim en fonction des deux variables de la disponibilité alimentaire
et de la démographie, ont eu encore une influence décisive sur l'orientation des
mesures prises par la communauté internationale, à partir de la fin de la Seconde
Guerre mondiale. En effet, les politiques de lutte contre la faim dans le monde se
sont concentrées sur l'enjeu de l'augmentation de la productivité agricole, afin de
répondre aux besoins alimentaires de la population mondiale - ce qui traduit
donc un accent essentiellement porté sur l'augmentation du facteur de la courbe
de la disponibilité alimentaire face à la croissance de la courbe démographique.
Les propos du Dr
Jacques Diouf, alors directeur général de la FAO, en 1995,
témoignent de cette orientation principale : « Je suis convaincu que la seule option
possible, pour une amélioration rapide et durable de la sécurité alimentaire, réside
dans l'accroissement de la productivité agricole, notamment dans les pays pauvres
qui ne produisent pas tous les aliments dont ils ont besoin »41
37. Cité in Christophe Golay, Vers la justiciabilité du droit à l'alimentation, Mémoire de
recherche, Université de Genève - Institut Universitaire De Hautes Études Internationales, 2002,
75 p., p. 4.
38. Olivier Assouly, L'organisation criminelle de la faim : essai, Actes Sud, 2013, 205 p.,
pp. 43-44.
39. Ainsi William Stanton présente-t-il un scénario pour réduire progressivement la population
afin d'éviter le cauchemar d'une réduction brutale à travers guerres, massacres et famines. Dans son
scénario, « l'immigration est interdite. Les arrivants non autorisés sont traités comme des criminels.
L'avortement et l'infanticide sont obligatoires si le fœtus ou le bébé s'avèrent très handicapés (la sélection
darwinienne élimine les inaptes). Quand, par l'âge avancé, par un accident ou une maladie, un
individu devient plus un poids qu'un bénéfice pour la société, sa vie est humainement arrêtée. L'emprisonnement
est rare, remplacé [...] par de châtiment capital sans douleur pour les cas les plus graves.
[...] Au sentimentalistes qui ne peuvent pas comprendre le besoin de réduire la population de
Grande-Bretagne de 60 millions à 2 millions sur cent-cinquante ans, et qui sont outrés par la proposition
de remplacement des droits humains par une froide logique, je pourrais répondre : ''Vous avez eu
votre temps'' ». Cité in Hugo Lassalle, « Malthus... et bouche cousue ? », op. cit. ; voir également :
Paul Ariès, Pour sauver la Terre : l'espèce humaine doit-elle disparaître ? De l'humanisme à l'humanicide
: les délires terroristes des néo-maltusiens, Paris, France, L'Harmattan, 2002, 176 p.
40. Selon lui, au nom de la rationalité économique, ces institutions ont recommandé de réduire
ou de supprimer les services publics dédiés à l'entretien et à la reproduction de la vie humaine, d'accroître
les prix alimentaires, de manière à contrôler « par la faim, la maladie et la mort » les foules
urbaines du Tiers Monde. In : Pierre Alary, Didier Bazile et Sophie Berland, Nourrir les Hommes,
op. cit., « Messailloux Claude », pp. 457-458.
41. FAO, L'ampleur des besoins : atlas des produits alimentaires et de l'agriculture. FAO 19451995,
FAO, 1995, 132 p., p. 8.
. L'accent est porté
. Selon l'anthropologue Claude Messailloux,

Bibliothèque de droit public - Tome 343 - Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit public - Tome 343 - Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France