Bibliothèque de droit public - Tome 343 - Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France - 79

UNE CONCEPTION ÉVOLUTIVE DE LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE
fréquentes parmi les élites religieuses »252
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. Ces enjeux identitaires et symboliques,
liés à l'incorporation, apparaissent également centraux dans l'affirmation d'une
culture alimentaire : en particulier, le goût et sa portée symbolique ont représenté
un axe central du développement de la gastronomie française au xviiie
ils tiennent une place non négligeable dans l'identité nationale française254
siècle253
.
et
109. On peut alors conclure avec P. Ory que « Ingérer est un acte à la fois
positif (je reconstitue ma force vitale), offensif (je ne fais qu'une bouchée de cet
autrui vivant) et collectif (si peu que ce soit, je partage avec ce deuxième autrui
vivant qui est membre de mon clan). Il n'y a rien de plus fort en signification qu'un
repas »255
. Ces différents travaux, développant ou étayant le principe d'incorporation,
déplacent le regard dans la compréhension des enjeux entourant l'acte
alimentaire. Manger, mâcher ne répondent pas uniquement à un besoin physiologique
essentiel mais aussi, et de façon totalement inconsciente la plupart du
temps, constituent un acte fondateur de l'identité individuelle et collective. Cette
perspective permet de souligner l'omniprésence du contexte social et culturel dans
tout acte alimentaire.
B. UN ACTE S'INSCRIVANT TOUJOURS DANS UN CONTEXTE
SOCIAL ET CULTUREL
110. C. Fischler relève que toutes les cultures fixent un « ordre du mangeable »
, ce qu'il nomme le principe de la pensée classifica.
D'une
qui classe les aliments potentiels végétaux et animaux en deux catégories : consommable
et non consommable256
trice - principe faisant partie, tout comme le principe d'incorporation, aux trois
principes invariants, présents dans tout comportement alimentaire257
culture à l'autre, cette pensée classificatrice varie dans des proportions étonnantes.
De même, au sein d'une même culture, une espèce vivante classée comestible « n'est
pas pour autant comestible pour tout le monde de manière indiscriminée. Une
252. Pascal Ory, L'identité passe à table : l'avenir gastronomique de l'humanité en général et de la
France en particulier, Presses universitaires de France, 2013, p. 27 ; De même, Carolyn Steel montre
l'importance du repas sacrificiel pour toutes les religions, Carolyn Steel, Ville affamée : comment
l'alimentation façonne nos vies, traduit par Marianne Bouvier, Rue de l'Échiquier, 2016, 447 p.,
pp. 270-272 ; et J.-P. Poulain souligne que l'importance de la symbolique de la nourriture et de la gastronomie
représente justement « l'un des points d'achoppement les plus forts entre le catholicisme et
la Réforme » : Jean-Pierre Poulain, Sociologies de l'alimentation, op. cit., pp. 212-217.
253. Jean-Pierre Poulain explique que « la pensée alchimique - qui postule la correspondance et
interdépendance de l'Homme et du monde - a servi de modèle de pensée aux cuisiniers du xviiie
au
siècle, engagés dans cette quête du goût. Sensibles à la magie du fourneau transformé en athanor,
ils partent à la conquête de l'or potable [les fonds et les sauces développés dans les ouvrages de cuisine
de l'époque]. Mais pour le cuisinier du xviiie
xixe
siècle, la recherche alchimique ne se résume pas à la quête
de la sauce la plus parfaite ; en améliorant sa cuisine, il pense se perfectionner lui-même et plus encore,
faire " progresser " l'humanité. L'art culinaire participe directement « aux progrès de l'esprit humain ».
[...] Favre, fondateur de l'Académie culinaire, illustre la magie du principe d'incorporation mis en
évidence par Fischler (1990) : " En consommant ces sauces sublimes, cet " or liquide " , l'humanité se
transforme elle-même. C'est à elles que la France doit de tenir le flambeau de la gastronomie. Les
sauces forment la base de la bonne cuisine, et c'est à leur excellence que la cuisine française doit sa
supériorité sur celles des autres nations " (Favre, 1883) ». Jean-Pierre Poulain, Sociologies de l'alimentation,
op. cit., p. 211.
254. Voir infra, n° 214 et s. « Le fait gastronomique et la communauté nationale française ».
255. Pascal Ory, L'identité passe à table, op. cit., pp. 24-25.
256. Jean-Pierre Poulain, Sociologies de l'alimentation, op. cit., pp. 175-176.
257. Voir supra, note de bas de page n° 244, § 105.
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