Mélanges - Écrits de Jean-Louis Pezant -1 - 103

la pensÉe polItIQue de WaldecK-rousseau

89

allait avoir des conséquences importantes sur l’évolution du socialisme français et sur sa carrière propre 262. Que des ministres modérés acceptent de collaborer avec Baudin et surtout avec Millerand et que leurs groupes parlementaires y consentent, c’était déjà chose fort extraordinaire. Mais Waldeck-Rousseau ne réalisa pas ce seul tour de force. Il en fit un plus surprenant et plus éclatant en appelant au ministère de la Guerre un des hommes pour lesquels la gauche et l’extrême gauche avaient depuis 1870 le plus d’éloignement et d’aversion : le Général de Galliffet, prince des Martigues, que sa naissance rattachait à l’aristocratie, que sa jeunesse rattachait à l’Empire, qui avait participé brutalement à la répression de la Commune de 1871, à la tête des Versaillais. C’est lui que Waldeck-Rousseau chargea de ramener à l’obéissance les chefs d’une armée que l’Affaire Dreyfus était près de jeter dans l’illégalité et qui était l’objet des sollicitudes nationalistes. Le choix de ce « beau sabreur » qui revendiquait avec crânerie la responsabilité des exécutions qu’il ordonna en 1871, qui semblaient rendre impossible son entrée dans n’importe quel cabinet se réclamant de la République, n’est pas chez Waldeck-Rousseau une provocation délibérée, à l’égard de la droite comme de la gauche. Il est commandé directement par l’opportunisme, comme il s’en expliqua lors du débat d’investiture devant la chambre à ceux qui lui demandaient pourquoi il avait pris avec lui le Général de Galliffet : « C’est d’abord parce que tous ceux qui ont suivi avec quelque attention les dernières années de notre histoire savent comme moi qu’il n’est pas un général qui se soit incliné plus spontanément devant la Constitution. » 263. Si Waldeck-Rousseau l’a choisi, c’est donc parce qu’il était républicain ; depuis 1871, Galliffet était l’ami de Gambetta  ; il était resté fidèle à sa mémoire, ce qui, pour le Président du Conseil, était très important, et il s’était rallié franchement et nettement à la République, puisqu’il s’était successivement prononcé contre Mac-Mahon et contre Boulanger. Mais ce n’était pas la raison essentielle. Pour réduire les manœuvres menées par l’État-Major autour de l’affaire Dreyfus, il fallait au ministère un militaire connaissant bien l’armée, sans préjugés, et disposant sur elle d’une autorité suffisante ; surtout, il fallait un général qui ne fût pas anti-révisionniste. Galliffet, convaincu de l’innocence de Dreyfus, était partisan de la révision  ; il était estimé des spécialistes pour les améliorations qu’il avait apportées au règlement de la cavalerie dont il était l’idole ; enfin, son nom, ses faits d’armes, son caractère altier et son insolence lui avaient valu depuis longtemps sur toute l’armée une autorité qui paraissait seule pour le moment avoir raison des généraux anti-dreyfusards de l’État-Major. « Je lui ai demandé son concours parce qu’il n’en est pas qui pour les autres et pour lui‑même, ait

262. Sur les conséquences de l’entrée de Millerand au ministère, et sur les polémiques qu’elle souleva, voir M.  Prélot, op. cit., p.  130‑146 et D.  Ligou, Histoire du socialisme en France, p. 140‑156. 263. Vol. III, p. 22.
Mélanges - Écrits de Jean-Louis Pezant -1

Table des matières de la publication Mélanges - Écrits de Jean-Louis Pezant -1
