Centraliens - N°629 - La revue des Arts et Manufactures - Octobre/Novembre 2013 - 21

luxe, la french touch nous va si bien !

pour offrir. Ce n'est pas rationnel, c'est émotionnel. Il est impossible de mesurer le rapport « rêve-prix » et les marques de luxe l'ont
bien compris. C'est d'ailleurs le seul secteur
du commerce qui peut se permettre d'augmenter les prix sans faire baisser les volumes
de vente. Depuis 30 ans les marques de luxe
ont augmenté leurs prix près de trois fois
plus que l'inflation sans entamer leur attractivité. L'agence Interbrand a récemment
essayé de mesurer la valeur immatérielle des
100 premières marques mondiales3, et c'est
sans surprise que l'on retrouve les grands
noms du luxe aux premières places (Vuitton,
Gucci, L'Oréal, Hermès, Cartier, etc.).
Si le prix apparaît comme une variable
facile à augmenter, qu'en est-il du budget disponible des clients ? C'est un autre
avantage spécifique au luxe par rapport
aux produits de consommation courante.
La crise touche en effet les classes pauvres
et moyennes, mais épargne en général les
plus riches. Dans les pays en fort développement comme la Chine ou le Brésil, les
inégalités s'accroissent en même temps que
le PIB. Le coefficient de Gini - qui mesure
l'inégalité de distribution de richesse entre
0 (égalité parfaite) et 1 (extrême concentration des richesses) - est passé de 0.25 à 0.5
en Chine entre 1985 et 2012. Selon le cabinet Bain&Co, le nombre de High Net Worth
Individuals (possédant des actifs de plus de
$1.6m) a atteint 700 000 en 2012 en Chine.
Ces ultra-riches sont à la recherche de produits et de marques capables de symboliser
leur réussite matérielle. Le luxe raffole de ce
type de clients fortunés à la recherche d'un
nouveau statut. D'après TripAdvisor China,
les visites de touristes Chinois à Paris ont
augmenté de 360 % en juillet et août 2013
pour en faire la cinquième destination la
plus visitée au monde. Les Chinois sont
d'ailleurs devenus les premiers consommateurs du luxe dans le monde avec 25 % des
dépenses de produits très haut de gamme.
Puissance financière, identité et héritage,
innovation et savoir faire, « brand equity »,
tous ces atouts du luxe semblent isoler le
luxe de la crise actuelle. Il existe pourtant de
nombreux défis à relever pour ces « champions du luxe » européens. La récente campagne anti corruption en Chine a eu pour
effet de réduire fortement les achats ostentatoires. La hausse continue des prix en Euwww.centraliens.net

rope et aux États-Unis peut-elle encore durer sans risquer de perdre la clientèle locale
qui représente encore une part importante
des ventes ? Si l'Europe conserve le monopole des marques de luxe, l'Asie s'intéresse
de plus en plus à ce secteur. La jeune marque
Shang Xia, filiale d'Hermès, vient d'ouvrir sa
première boutique à Paris et revendique son
héritage Chinois. Loin d'être une rivale à ses
grandes sœurs européennes, elle pourrait
cependant signaler le début d'une tendance
à suivre de près. À chaque marque de proposer de nouveaux produits et services pour
recruter et fidéliser ses clients et continuer
ainsi faire partie du club fermé des « champions du luxe ».
La haute joaillerie est emblématique du luxe
le plus exclusif et fait référence aux joyaux
historiques des cours royales. D'abord réservée aux élites, la joaillerie s'est démocratisée
grâce au développement de collections plus
abordables et à une stratégie marketing efficace. De Beers a créé en 1939 le critère des
« 4C » qui permet de mesurer les qualités
d'un diamant, tout en communiquant dès
1947 sur le célèbre slogan « A Diamond is
Forever » qui fait du diamant un symbole
d'engagement et d'amour. Aujourd'hui De
Beers renforce encore son expertise en
proposant à ses clients de choisir leur diamant parmi des milliers de combinaisons
possibles (carat, taille, couleur, pureté, prix,
design de la bague) grâce à une nouvelle
application Ipad disponible uniquement en
boutiques.
D'après un récent rapport publié Bain&Co,
la demande mondiale de diamants va continuer à croître dans les dix prochaines années
de 5 % par an tandis que l'offre ne progressera que de 2 % par an, ce qui entraînera une
pression haussière sur les prix. Nombre de
marques dites « fashion » sont attirées par ce
potentiel de développement et ont créé leur
propre gamme de joaillerie (Dior, Chanel,
Vuitton, Hermès). La concurrence devient
donc intense dans un secteur historiquement réservé aux « spécialistes ».
n
Mathieu Testud

Mathieu Testud
Issu de la promotion
ECP 2002 (option
Stratégie Marketing
Finance), j'ai débuté
ma carrière par un an
de stage chez Cartier
Joaillerie. Fort de cette première expérience dans le luxe, j'ai rejoint en
2003 la maison de joaillerie Chaumet
(groupe LVMH) au poste de Planificateur puis de Supply Chain Manager,
sous la direction d'un autre Centralien.
Chaumet a connu un fort développement en France et en Asie entre 2003
et 2009 et mon rôle d'ingénieur m'a
permis d'améliorer les processus achat
et gestion de stock pour accompagner
cette croissance. En 2009 je suis parti à
Londres pour rejoindre De Beers Diamond Jewellers (joint venture créée par
les groupes LVMH et De Beers) en tant
de Merchandising Director.

1. Rapport financier semestriel LVMH www.lvmh.fr
2. Financial review - Richemont www.richemont.com
3. www.interbrand.com

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