Centraliens - N°631 - La revue des Arts et Manufactures - Janvier/Février 2014 - 42

Dossier

Les barrages,
un patrimoine essentiel,
ou l'avenir du passé
Le cas de la France

Un grand barrage est probablement l'ouvrage d'art par excellence, le plus complexe, à la fois objet
technique et monument. Les grands barrages existant sur le territoire français et les aménagements
hydrauliques, dont ils sont un des maillons essentiels, constituent un patrimoine industriel,
économique, technique, monumental et environnemental1. Ce patrimoine toujours vivant, exceptionnel
pour sa durée de vie très longue, est profondément inséré dans le territoire, l'économie et la société.

Digue de Jugon-les-lacs dans les Côtes d'Armor
attestée dès 1240 - Vue aérienne Eole.

l évolue en fonction des finalités qu'il satisfait, finalités qui varient dans le temps. Sa
conservation, son adaptation et son entretien requièrent des moyens techniques et
économiques conséquents. La réglementation
publique agit au plan de sa sécurité qu'il faut
assurer par la mise en pratique de procédures
résultant de l'expérience et des progrès techniques. Cette réglementation agit aussi au plan
des finalités avec les évolutions des lois sur l'eau
par exemple. Si le développement de nouveaux
barrages en France est limité par différentes
contraintes et en premier lieu par le manque
de sites, la connaissance de l'histoire du patrimoine apporte de nombreux enseignements
précieux pour l'avenir.

L'inventaire
Il n'y a pas que des grands barrages (quelque
600 unités en ce début du XXIe siècle), c'està-dire d'une hauteur supérieure à quinze
mètres au-dessus du niveau de fondations

suivant cette valeur « raisonnable » retenue
par la Commission Internationale des Grands
Barrages. Des milliers de digues, en général en
terre, mais aussi en maçonnerie, en moyenne
de cinq à dix mètres de haut ont été construites
depuis des siècles. Elles sont souvent organisées en système hydraulique, à l'échelle d'un
ou plusieurs bassins-versants. L'histoire nous
apprend que leur nombre a fluctué dans le
temps au gré des évolutions industrielles et
des pratiques de l'occupation de la terre. La
dernière variation en France est l'explosion
de leur nombre dû à la multiplication des lacs
collinaires, conséquence de la Politique agricole commune (PAC). Ils ont servi à l'évolution technique par l'enseignement tiré de
l'observation de leur comportement sur plusieurs siècles. Les plus anciens grands barrages
français n'ont qu'un peu plus de trois siècles
d'âge, alors qu'en Espagne deux grands barrages sont toujours en service, depuis près de
deux millénaires. Les grands barrages se sont
développés en France au XIXe siècle mais surtout au XXe siècle après 1920, principalement
à des fins énergétiques.

Les données de l'histoire
L'histoire de ces ouvrages constitue donc une
donnée fondamentale, tant dans le domaine
technique qu'économique et social. Elle nous
renseigne sur les raisons de leur existence, dont
certaines dépassées ne sont plus explicites, et
nous demeurent cachées. Au plan technique,
elle participe à leur connaissance physique en
vue d'une meilleure gestion, par le suivi de leur
comportement. Sa1transmission importe au
plus haut point pour la sécurité des barrages, au
titre des retours d'expérience. La connaissance
technique et scientifique de ce type d'ouvrage
participe d'une démarche collective internationale de type expérimental qui s'inscrit dans
la durée. Chaque nouveau progrès naît d'un

apport précédent. Ce qui est vrai pour le progrès scientifique et technique est vrai aussi pour
la naissance et l'élaboration des ouvrages euxmêmes. Un barrage est le produit d'une méthode par approximations successives, qui est
peut-être la meilleure à la fois pour trouver une
bonne solution technique et la faire accepter
par tous les acteurs concernés. Suivant l'échelle
adoptée et l'angle d'observation, les auteurs
d'un barrage et plus encore d'un aménagement
sont nombreux. Personne ne peut se prévaloir
d'être le père unique d'un ouvrage. L'histoire
qui naît de la lecture du patrimoine nous enseigne cette alchimie subtile.

L'évolution des finalités
Le rôle des barrages pour la gestion de l'eau
dans le monde reste essentiel. Mais chaque
pays en a une pratique propre à sa géographie et à son histoire industrielle. L'importance de l'hydroélectricité en France
s'inscrivait dans le prolongement d'une
utilisation de l'énergie hydromécanique
vieille de plusieurs siècles, et très tôt dans
la recherche d'une indépendance énergétique. La conscience de la rareté de nos
ressources en énergie fossile est prise dès
le tout début du XIXe siècle. Si cette finalité
n'est plus autant soulignée dans les raisons
de construire pour aujourd'hui, le capital
existant demeure un atout qu'il faut préserver. L'hydroélectricité représentait encore
95 % des énergies renouvelables en France
en 2008. Le développement de l'hydroélectricité est préconisé non seulement par le
suréquipement des ouvrages existants mais
aussi avec l'addition de nouveaux usages en
dehors de la production d'énergie, et enfin
par la réalisation de nouveaux barrages pour
autant qu'ils ne contrarient pas les efforts
en faveur de la biodiversité. Il est vrai que
plus d'un siècle après ses premiers déve-

Centraliens no631 [janvier /février 201
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