Centraliens - N°631 - La revue des Arts et Manufactures - Janvier/Février 2014 - 43

loppements, l'énergie hydroélectrique n'a
rien perdu ni de son intérêt économique
ni de ses avantages dans le domaine environnemental. L'hydroélectricité est en effet
un des moyens de valorisation des énergies
renouvelables à production intermittente
comme l'éolien ou le photovoltaïque, qui
sont en cours de développement. À partir de
l'eau stockée dans les retenues, son délai de
mobilisation de production est de l'ordre de
quelques minutes. Le stockage d'énergie par
pompage (STEP) est le seul moyen confirmé de stockage de l'énergie électrique. C'est
aussi le champ de la mise en œuvre de très
hautes technologies, ce qu'ont oublié ses
détracteurs et une partie du grand public.

La connaissance technique
Le barrage qui retient l'eau stockée, est donc
la structure dont la pérennité importe, tant
pour les ouvrages existants que ceux qui seront nécessaires dans l'avenir pour atteindre
les objectifs fixés d'énergie renouvelable.
Ceci explique que l'attention des politiques
et du public soit concernée par les questions
de sécurité. Ce domaine spécifique qui renvoie à la nature et aux données techniques
des barrages est l'objet de tous les soins des
ingénieurs. La surveillance des structures à
très longue durée de vie relève d'une pratique qui requiert une grande maîtrise technique et beaucoup d'abnégation. Elle est
au cœur de la méthode expérimentale. Le
savoir accumulé sur un barrage particulier
dans le cadre de la surveillance, doit être
l'objet de tous les soins pour sa conservation
et sa transmission, non seulement à travers
des documents mais par les hommes dont
la capacité d'observation est irremplaçable.

Le paysage, son appropriation
et son évolution
Ces ouvrages, petits comme grands, ont
façonné le paysage français. À la différence
de tous les autres, ils viennent s'inscrire
dans les lignes de force du paysage commandées par la géologie. Ils retiennent et
guident l'eau. Ils transforment le paysage en
effaçant celui d'origine. Mais leurs concepteurs ne sauraient le faire au mépris des lois
de la nature, car « leur simple objectif technique serait déjà manqué » (André Coyne).
Beaucoup, parmi les plus anciens et particulièrement les milliers de digues en terre,
passent, aux yeux d'un public non averti,
pour « naturels », alors que plus de 95 %
des plans d'eau français de toutes dimensions sont le fait de l'homme. Il y a pour les
grands barrages des caractéristiques monumentales qui en font de véritables créations
architecturales, trop souvent sous estimées.
La cicatrisation des bouleversements apporwww.centraliens.net

tés au paysage et aux écoulements réserve
des surprises. Hommes, animaux et plantes
colonisent les nouveaux lieux, bouleversant
les prévisions des aménageurs pour le meilleur et quelquefois le pire.

les barrages

Un exemple en guise
de conclusion 2
Identifié dès 1857, dans le cadre d'une politique de lutte contre les crues à la suite des
grandes inondations de 1856, le site de SerrePonçon sur la Haute Durance, fut le lieu
d'études, de reconnaissances, l'objet de propositions non abouties pendant près d'un siècle.
De 1952 à 1960 était réalisé un barrage en terre
de 129 m de hauteur, stockant un volume
de 1 270 millions de mètres cubes, qui permettait une régularisation du cours de cette
rivière impétueuse et son équipement énergétique jusqu'à l'étang de Berre au moyen de
quinze usines en escalier représentant 25 %
de l'énergie de pointe disponible en France.
Cet aménagement fut successivement envisagé pour le stockage des crues et pour l'irrigation. C'est la finalité énergétique qui permit,
à partir de 1911, de bâtir un projet combinant
fourniture d'énergie, réduction des crues, développement de l'irrigation, fourniture d'eau
potable et plans d'eau pour les loisirs. L'impact bénéfique de Serre-Ponçon se fait sentir
à l'échelle d'une région, de Gap à Marseille
et Toulon. L'eau turbinée plusieurs fois sert
ensuite à l'irrigation ou à la fourniture d'eau
potable. Le marseillais qui se lave les dents ne
peut imaginer le circuit de l'eau qu'il utilise.

Le barrage de Grandval sur la Truyère,
1959, un exemple de l'élégance d'un barrage à voûtes
multiples, hauteur 85 m.

Barrage de Serre-Ponçon sur la Durance,
1 962 EDF.

Implanté dans un site particulièrement
difficile pour le génie civil, Serre-Ponçon
marque les débuts de la géologie appliquée
aux barrages. C'est le lieu du transfert technologique des pratiques américaines de
construction des barrages en terre, mais
aussi de la réussite des injections des sols
alluviaux. Cette technique, dans laquelle les
Français sont passés maîtres, visait à constituer le barrage souterrain, élément indispensable à l'existence même du corps du
barrage en élévation, selon un schéma répété de nombreuses fois à travers le monde.
Le barrage de Serre-Ponçon constitue,
tant dans son existence avec toutes ses implications que par son histoire technique,
économique et sociale, un patrimoine
exceptionnel d'avenir.
n
Jean-Louis Bordes (58)
Docteur en Histoire

Lac de Serre-Ponçon, EDF.

1. J.L. Bordes, Les barrages réservoirs en France,
du milieu du XVIIIe au début du XXe siècle, Paris,
Presses des Ponts et Chaussées, 2005, 443 p.
2. Balland P., Huet Ph., Lafont E., Leteurtois J.P.,
Pirron P., Rapport sur la Durance, ministère de l'écologie
et du développement durable, ministère de l'agriculture,
de l'alimentation de la pêche et des affaires rurales,
ministère délégué à l'industrie, ministère de l'équipement
des transports du logement du tourisme et de la mer,
2002, 37 p.

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