Centraliens - N°632 - La revue des Arts et Manufactures - Mars/Avril 2014 - 26

Dossier

Prix et remboursement
Pourquoi et comment les « payeurs*»
vont contribuer à changer les paradigmes
de recherche et de développement
Le revenu de l'industrie pharmaceutique est schématiquement
fonction de trois paramètres principaux : l'accès, le volume
et le prix.
L'accès
Jusqu'au début du XXe siècle, le principal moteur de croissance pour l'industrie
pharmaceutique a été l'accès. L'industrie
pharmaceutique cherchait à commercialiser ces produits via un maximum de canaux différents pour les rendre disponible
au public le plus large possible. À cette
époque, le principal obstacle à surmonter
était d'atteindre les populations rurales qui
ne pouvaient pas toujours se rendre régulièrement dans des zones urbaines pour acheter leurs traitements. Le succès commercial
était impulsé par les délégués médicaux.
La question de l'industrie était « Comment
faire pour vendre mon produit à n'importe
qui, n'importe où, et pour toutes sortes de
maladies ? » ; l'industrie était dans la quête
du Graal ultime, de la « panacée ».

Le volume

* Un payeur dans le contexte de ce papier est défini
comme étant un décideur et/ou un responsable
budgétaire à l'échelle national (e.g. un membre du
Comité Economique des Produits de Santé) ou infranational (e.g. un pharmacien hospitalier).
1. Le terme blockbuster désigne communément un
produit de santé dont le chiffre d'affaire au niveau
mondial a atteint ou excédé 1 milliard de dollars
américains sur une année.
2. Lors de l'évaluation de Victrelis (boceprovir) dans
le traitement de l'hépatite C en 2011, l'agence allemande a déclaré que le critère d'efficacité choisi
par le fabricant, la disparition du virus, n'était pas
suffisante pour préjuger de l'impact réel du traitement sur la morbi-mortalité de cette population
de patients, illustrant une tendance globale des
agences évaluant les technologies de santé à refuser de prendre en compte des critères d'évaluation
substitutif.

Avec l'industrialisation de masse et l'urbanisation, les systèmes de santé et la société en
général se sont structurés et seuls quelques
produits sélectionnés ont obtenu le statut
de « médicament » et l'accès à ces derniers
s'est vu progressivement réservé à quelques
canaux, en France, les pharmacies. Le défi
majeur pour l'industrie pharmaceutique
était alors devenu d'obtenir l'indication la
plus large, afin d'assurer le plus gros volume
et donc le meilleur revenu. Les « blockbusters1 » de cette époque, comme les statines
par exemple, pouvaient offrir de diminuer
les concentrations d'un simple biomarqueur
(dans ce cas le LDL-cholestérol) sans directement lier cette diminution à un allongement de la durée de vie au moment du
lancement, ce qui aujourd'hui serait problématique2. Le succès commercial a été alors
principalement animé par les professionnels du marketing. La question de l'industrie

est devenue « Comment vendre ce produit
au maximum de patients au sein d'une indication ? » L'ultime Graal de l'industrie pharmaceutique est devenu une marque comme
Lipitor®/Tahor® ou Plavix®/Iscover®.

Le prix
Depuis une vingtaine d'années, les systèmes
de santé sont pointés du doigt comme participant largement à l'endettement des États
(particulièrement européens). Le prix des
produits de santé est ainsi devenu la nouvelle principale variable d'ajustement des
payeurs (i.e. des gouvernements). Dans les
conditions actuelles, l'industrie pharmaceutique n'est pas incitée à rendre ses produits
accessibles à l'éventail le plus large possible
de patients : plus l'indication d'un produit
est étroite, plus il est facile de négocier avec
les payeurs publics et privés. Le succès commercial est désormais entraîné par la « stratégie d'accès au marché » et la question
de l'industrie est maintenant « Comment
optimiser les indications potentielles de ce
produit pour obtenir le prix le plus élevé
possible au lancement ? » L'ultime Graal
est un produit tel que Soliris®, dont le coût
annuel de traitement par patient est évalué
à 440.000 US$ 3.

Pourquoi la crise européenne
impacte-elle autant l'industrie
pharmaceutique?
Les Européens ont presque inventé le
concept de système de santé universel reposant sur la solidarité nationale. Les Britanniques ont développé la « science » du
rapport coût efficacité, tandis que l'efficacité
clinique comparative a été promue par les
Français et les Allemands. Les évaluations
des produits de santé sont devenues accessibles au grand public, et aux payeurs du
Centraliens no632 [mars/avril 201
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