Centraliens - N°632 - La revue des Arts et Manufactures - Mars/Avril 2014 - 31

santé : l'affaire de tous

Nous réussissons à imposer notre façon
de penser quand les lignes bougent.
Les applications de la biologie des systèmes
concernent l'ensemble des aires thérapeutiques.
u Biotech finances :

Quelles avancées avez-vous mis
au jour ?
Manuel Gea : Dans la maladie de CreutzfeldtJacob l'approche traditionnelle consistait à s'intéresser uniquement à l'action du prion sur les
neurones. Or les neurones ne représententenviron que 50 % du volume du cerveau. Nous
sommes partis de l'hypothèse inverse, cherchant la solution dans la matière autour des
neurones et c'est cette voie que nous avons
investiguée. Avec le CEA, nous avons analysé
les prédictions de notre modèle CADI™ sur les
fonctions cérébrales retenues, qui prédisait une
dérégulation possible de certaines protéines
composantes du cytosquelette cellulaire (celles
qui jouent un rôle clé dans la liaison du réseau
d'actine à la membrane de la cellule) tout
comme de certaines enzymes décrites comme
intervenant dans la plasticité synaptique et la
mémoire. Les résultats expérimentaux du CEA
dans des modèles de maladie à prions de la souris ont permis de montrer l'augmentation d'une
des protéines identifiées, a priori, ainsi que
l'absence de régulation de l'activité d'une autre
enzyme (sérine racémase). Nous avons alors
intégré ces nouvelles données et recompilé l'ensemble pour aboutir à un nouveau modèle prédisant l'intervention des astrocytes et suggérant
l'implication d'autres protéines transmembranaires, appelées connexines, permettant de
transmettre des molécules entre les cellules. Au
final, nous avons identifié une connexine particulière qui était anormalement élevée chez
les animaux infectés et qui favorisait la diffusion de petites molécules entre les cellules. Des
essais de molécules à activité anticonnexine
ont été entrepris pour contrer ce phénomène de
diffusion. Des résultats originaux ont alors été
obtenus, justifiant une protection intellectuelle
par brevet, en 2008, qui vient d'être délivrée au
niveau européen.
u Biotech finances :

Le projet a abouti à la création
d'une start-up. Quelle application
va être développée ?
Manuel Gea : Les molécules anticonnexines qui
ont été identifiées potentialisent l'effet des psychotropes tels que les antidépresseurs et les anxiolytiques. Le CEA a en effet passé en revue la
plupart des médicaments psychotropes et découvert que ces molécules permettaient de baisser les
doses de 5 à 20 fois pour un même effet thérawww.centraliens.net

peutique. Nous pensons que les effets secondaires
parfois très handicapants de ces médicaments
pourraient ainsi être atténués. C'est cette découverte qui a fait l'objet du dépôt de brevet dont
nous sommes copropriétaires avec le CEA, et qui
sert de support à l'essaimage d'une jeune entreprise par le CEA.
u Biotech finances :

Quels autres débouchés
pourrez-vous toucher ?
Manuel Gea : La même démarche de recherche
pourrait s'appliquer à de nombreux champs
dans les maladies neurodégénératives et la psychiatrie. Parmi les plus gros marchés visés, nous
travaillons sur la maladie d'Alzheimer pour
laquelle un modèle CADI™ décrit trois mécanismes causaux qui ne sont pas les deux « pensées dominantes » du moment, et sur la maladie de Parkinson pour laquelle nous avons un
modèle CADI™ descriptif d'une stratégie thérapeutique inédite combinant deux produits
donnés, à des moments différents, et dont la
preuve de concept scientifique pourra, compte
tenu de leur profil de risque exceptionnel, être
testée directement sur l'homme. Au total, nous
conduisons une quinzaine de programmes
dans huit aires thérapeutiques différentes, à
des stades plus ou moins avancés. En oncologie,
notre approche consiste à dire qu'il ne faut pas
seulement se concentrer sur les tumeurs solides
composées de plusieurs éléments aux mécanismes différents mais empêcher l'apparition
des métastases en isolant la tumeur des tissus
sains avec des « coques ».
u Biotech finances :

Après dix ans de développement, quelle suite envisagez-vous
pour BMSystems ?
Manuel Gea : Paradoxalement, nous marchons à contre-cycle du reste de l'industrie
pharmaceutique, c'est-à-dire que nous réussissons à imposer notre façon de penser quand les
lignes bougent dans un secteur donné. C'est le
cas aujourd'hui dans les maladies neurodégénératives et psychiatriques, un marché global
colossal en pleine transformation. Nous avons
donc fait des maladies du système nerveux
central et périphérique un axe de recherche
prioritaire et estimons pouvoir gagner 40 % de
parts du marché de la biologie des systèmes, où
notre crédibilité vient d'être renforcée grâce aux
avancées réalisées avec le CEA. Dans les autres

aires thérapeutiques, nous travaillons pour reproduire le succès avec des partenaires en oncologie, immunologie, dermatologie, métabolisme
et biotech industrielle.
Avec cet objectif de devenir à long terme un
leader mondial de la biologie intégrée.
n
Propos recueillis par
Anne-laure Languille
Journaliste Biotech Finances

POUR EN SAVOIR PLUS

www.biotech-ﬁnances.com

LE CEA VALORISE À PLEIN
RÉGIME
La start-up qui a vu le jour au terme
du projet partenarial avec BMSystems
est la 19e spin-off en sciences du vivant
du CEA depuis 1984, sur un total de
180 essaimages, tous secteurs confondus. Pierre Chagvardieff, représentant
du CEA dans le pôle de compétitivité
Medicen Paris Région, se félicite du
succès de la collaboration qui a été
rendue possible grâce à la dynamique
partenariale créée par le pôle francilien.
Elle démontre que l'organisme de recherche, tout en étant à la pointe dans
ses secteurs de spécialité en biologie,
notamment l'innovation thérapeutique
et diagnostique, dont l'imagerie biomédicale, les bioénergies ou la radiobiologie/toxicologie, garde une politique
d'ouverture avec son environnement
proche et en particulier avec les PME
innovantes. Historiquement actif dans
la valorisation de ses travaux de recherche, le CEA renforce ses actions
en ce sens, encouragé par ses autorités
de tutelle ministérielles qui voient dans
l'accélération du transfert de technologies le moyen de déployer l'innovation et de contribuer à la réindustrialisation de la France. « La valorisation
est au coeur des préoccupations du
CEA, commente Pierre Chagvardieff.
Nous souhaitons continuer et réaffirmer
notre mission de transférer la recherche
vers l'industrie. »

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