i+D - Mai/Juin 2018 - 34

Maîtriser le jeu - par Brian J. Barth

Si le Bellagio était votre manuel scolaire de design de casinos, il pourrait
porter le titre Le design de royaumes enchantés. Qu'est-il arrivé aux salles
sombres et enfumées remplies de types qui semblaient tout droit sortis
du plateau de Bugsy ?
Le design des casinos de la vieille école - plafonds bas, ni horloges ni
de fenêtres, et moquette qui vous entraînait d'une salle de jeu à une autre,
et que l'on nomme désormais le design du « jeu » - a été lancé par
Bill Friedman, passionné de jeu devenu patron de casino, puis consultant
pour beaucoup de promoteurs de casinos, partout dans le monde. Friedman,
natif de Las Vegas, a littéralement écrit le livre sur le sujet, en fait, plusieurs
ouvrages : Casino Games, Casino Management et Designing Casinos to
Dominate the Competition.
« J'ai vécu la grande époque de Las Vegas, alors que les vestiges des
gangs du crime organisé qui avaient apporté la boisson pendant la prohibition
ont bâti le Strip, indique-t-il. Les casinos m'ont fasciné dès la première fois
où j'y ai mis les pieds, enfant. Ils étaient alors totalement différents de ceux
d'aujourd'hui, tant dans les marchés qu'ils servent que dans la manière dont
ils sont conçus et exploités. »

En fait, on allait se mettre à critiquer les casinos de l'époque, leur
reprochant ce qui les rendait alors populaires ; des aspects du design qui
ne seraient reconnus comme importants que plusieurs années plus tard -
consommation d'énergie nuit et jour et effets néfastes du manque de
lumière naturelle et d'air frais, entre autres.
Bill Friedman a passé sa carrière à analyser la relation entre le design
d'intérieur et la rentabilité d'un casino. Son modèle consistait à créer un
labyrinthe de salles de jeu qui mettaient l'accent sur les besoins de joueurs
sérieux, et non de touristes occasionnels. Vous pouviez littéralement vous
y perdre, ce qui était exactement le but. Il croyait que les grandes salles, les
points de vue ouverts et un décor élaboré détournaient l'attention des gens
de ce que voulaient les propriétaires de casino de l'époque - qu'ils jouent.
Dans l'esprit de Friedman, l'équipement de jeu constituait le décor. Hôtels,
divertissements et autres installations faisaient partie de l'ensemble, mais
ils n'étaient qu'un à côté, souvent exploités à perte, du plancher du casino.
C'est dans les années 1990 que l'école du design de casino en tant que
« terrain de jeu », avec aménagements ouverts de type complexe hôtelier
et intérieurs élaborés, a commencé à prendre racine. Cette approche, qui
persiste aujourd'hui, attire toujours les joueurs sérieux, mais tente aussi de
joindre un public bien plus large en quête de sensations fortes : touristes,
congressistes, fêtes d'enterrement de vie de garçon ou de fille, mariages.
Disparus, les plafonds bas. La lumière naturelle a la cote, tout comme les
« granges » - jargon du casino pour désigner les grands planchers de jeu
ouverts conçus pour susciter un sentiment d'émerveillement. Et le jeu
dans tout ça n'est qu'une autre attraction parmi tant d'autres. Dans certains
complexes, toute la famille est bienvenue ; papa, maman et les enfants
y trouveront un attrait. Les revenus provenant des planchers de jeu sont
toujours importants, mais ne déterminent pas à eux seuls le succès de
l'entreprise tout entière, comme avant.
On cite souvent le Bellagio comme le pinacle du design de terrain de jeu.
Roger Thomas, vice-président directeur du design pour Wynn Design
and Development (voir aussi Profil ICONique : Roger Thomas, p. 54.), qui
a créé les intérieurs du Bellagio, dit que sa philosophie est assez simple -
bien qu'elle ne relève pas de la formule. « Mon objectif est de créer une
expérience qui est si intéressante, aisée et stimulante que les clients
désirent revenir pour en avoir encore plus, explique M. Thomas. Ils se
rendent compte que c'est unique parce que tous les éléments sont uniques,
et que, s'ils désirent l'expérimenter de nouveau, c'est chez nous qu'ils
doivent revenir. Mon travail est de créer un état de fébrilité émotionnelle
qui dure - des lieux qui comportent tellement de couches superposées
qu'il est aussi intéressant et amusant de les fréquenter pour la 200e fois
que ce l'était la première fois. »
Pour y arriver, M. Thomas construit des modèles grandeur nature des
sections clés de chaque projet de casino - généralement, « une zone pour
les machines à sous, une pour les tables de jeu et une zone de circulation » -
avant de finaliser le design. « Changer la moquette, l'éclairage, le mobilier et
la peinture est un exercice qui peut exiger deux ans - pour tout démonter
et remettre à neuf. Nous ne laissons de côté aucun élément, dans notre
quête du lieu de jeu le plus extraordinaire sur la planète. »
Et son approche semble certainement fonctionner : le Bellagio recueille
quatre fois plus de recettes par chambre que la moyenne à Las Vegas.

Dans l'atrium du
Wynn Las Vegas, un
aménagement floral
coloré change tout au
long de l'année.
(Photo : Barbara Kraft)

34

i+D - mai-juin 2018
i+D - Mai/Juin 2018

Table des matières de la publication i+D - Mai/Juin 2018
